La mouche

Je me souviens de toi, mouche ignoble. Tu troubles souvent mes nuits, perverse. Tu alternes avec une savante cruauté ton vol obsédant irrégulier, aliénant, avec un repos calculé et insidieux. Tu guettes la lenteur de ma respiration et tu surveilles la fréquence de mes mouvements dans le lit. Pleine de vice, tu prends alors ton envol ridicule pour dissiper mon sommeil naissant, tourbillonnant à quelques centimètres de mes oreilles que tu sais délicates. Tu me laisses parfois dormir quelques dizaines de minutes, puis tu poses tes semelles à ventouses sur mon visage apaisé, pour le parcourir de long en large, et te reposer dans les zones les plus sensibles. Ce contact hideux avec ton corps impie me réveillera brutalement, me laissant une sensation de dégoût durable.

Je te connais, mouche ignoble. Tu espères dans les profondeurs de ta substance gélatineuse te repaître tranquillement, avec ta trompe suceuse, de mon cadavre pourrissant à l’air libre, et loger ta descendance malveillante dans la douceur de mes excrétions purulentes. Mais moi, je souhaite plutôt constituer le succulent repas des vers silencieux et élégants, à quelques mètres sous terre, inaccessible pour toi, mouche ignoble.

Entends-moi, mouche ignoble. Tu mourras pitoyablement, soit écrasée entre mes propres mains, malgré tes efforts pour fuir l’étau ; soit déchiquetée par un oiseau sagace, volant avec majesté, à l’opposé de tes tournoiements incessants ; soit avalée par un caméléon habile dont tu découvriras brièvement la salive raffinée ; soit unie à jamais, collée dans un papier tue-mouche, exposée publiquement et éternellement aux autres insectes riant de toi.

Comments

[Vimpinata]

C’est mon texte préféré ! :)))