Les yeux

Des regards rapides et curieux effleurèrent mon être, puis plus sûrs d’eux, ils me palpèrent, me tripotèrent, me pétrirent. Pourquoi sentais-je cette convergence inouïe d’attention vers moi ? Qu’avais-je de plus ou de moins ? Comment répondre à ces regards qui m’évaluaient ? Par des yeux durs ? Amicaux ? Indifférents ? Apeurés ? Orgueilleux ? Pleurnicheurs ? Soumis ?

Je tentais de les regarder tous à la fois malgré la limitation biologique de mes deux globes oculaires. Les déplacements chaotiques de cette vingtaine d’inconnus induisirent alors en moi des vertiges. Je titubai, et ultime défense, j’abaissai mes paupières telles des boucliers. Je m’écroulai par terre et perdis connaissance.

A mon réveil, ils étaient tous là, en cercle, me fixant. Sous le choc, je m’évanouis à nouveau. A mon deuxième réveil, ils étaient encore plus nombreux… A mon cinquième, ils étaient indénombrables. A mon dixième, des pensées comme désincarnées apparurent avant mes pertes de connaissance inéluctables. Comment affronter ce phénomène ? Comment arrêter ce cercle vicieux ? Allais-je mourir dans cette crise étrange ?

Non, décidais-je. J’avais passé ma vie à me soucier du regard des autres. Il était temps de changer !

Je me relevais, les rassurais, et partis d’une démarche dansante.