Le marmot
Elle fixait intensément le marmot, couché sur le ventre à six mètres dans son berceau, la dédaignant, elle, ses pulsions maternelles et son statut d’adulte omnipotent. Elle s’efforçait de capter son attention chaotique, de lui suggérer des envies de tendresses, et de récolter son amour exclusif (qui d’autre le méritait ?), mais en vain. Froissée, elle usa tour à tour de serpentins bleutés, de sourires béats, et de susurrements bienveillants, afin de stimuler les doux instincts ancestraux, source d’abnégation étonnante, de belles histoires poignantes (la ténacité d’une mère tutoie l’infini), et de vocations existentielles indéfectibles. Face à l’indifférence manifeste du bébé, elle empoigna fermement le berceau… il dormait profondément, la bouche entrouverte et luisante. Ne tolérant pas, épiée par les petits grelots joueurs mais aux oscillations sardoniques, d’être ainsi repoussé par le mur du sommeil, elle le retourna avec fermeté et embrassa à pleine lèvres le front prédestiné du petit être, dont seul le réveil strident entacha l’harmonie de cette scène familiale.